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Michael Jackson, Prince et les médias

Updated: Aug 22, 2021

Lettre ouverte à la presse, organe d’information objective et vérifiable



Le 22 avril 2016

Mesdames et Messieurs les journalistes professionnels,

En tant que musicienne, professeure de musique et musicologue, je suis atterrée depuis l’annonce du décès de Prince hier soir, par la teneur des propos que vous distillez dans la presse écrite et dans la presse télévisée. Les soi-disant critiques éclairés et autres spécialistes, ou non, qui prennent la parole tour à tour pour évoquer cette disparition, ont une tendance croissante à ne tourner leurs interventions – faute d’analyses consistantes sur son œuvre, ou de recul par rapport à ses apports dans les musiques populaires – qu’autour d’une comparaison factice entre Michael Jackson et Prince, et ce, toujours au détriment du premier.

Vous devriez savoir, puisque vous en êtes les instigateurs, que ces comparaisons fort datées à présent, n’ont été fabriquées et entretenues qu’à des fins mythologiques et commerciales, et qu’il est complètement aberrant de comparer ce qui n’est pas comparable. L’objectivité qu’exige votre profession voudrait que vous teniez des propos objectifs et circonstanciés, voire contextualisés, plutôt que des ragots et des batailles de gang de cours d’école. On ne compare pas Georges Aphergis à Steve Reich, ni même Mendelssohn à Chopin, car chacun a apporté sa pierre à l’édifice de la musique, et tous ne donnent pas dans le même registre. On ne compare surtout pas en dévalorisant l’un par rapport à l’autre, quel qu’il soit. Vous devriez le savoir un tant soit peu, nul n’est besoin d’être musicologue pour cela, Michael Jackson ne faisait pas la même musique que Prince. On aime, on n’aime pas, on préfère ou pas. Mais nous, vos goûts, vos partis-pris, ne nous intéressent pas. L’un faisait essentiellement de la pop, un courant d'étiquettes fluide et mixte et l’autre essentiellement du post funk et du black rock. Et cela va plus loin. Derrière ces vagues étiquettes empiristes et commerciales se cachent des méthodes de travail bien différentes. À la sophistication et aux longues heures de travail en studio qu’impose la pop méticuleuse d’un Jackson (fort doué également en authenticité et en instantanéité) s’oppose la force d’authenticité et d’instantanéité d’un Prince génial (et tout autant méticuleux). Lorsque l’un édite 6 albums, l’autre en édite 30 (1979-2001). Pensez-vous que cela ne tienne que du mutisme et de la logorrhée ? Voyons, voyons… soyons sérieux…

Vous vous permettez de comparer, toujours au détriment de Michael Jackson, la maison de l’un et de l’autre, le nombre de tweets des fans (est-ce vraiment intéressant ? et bien objectif, à 7 ans d’intervalle ?), la capacité de l’un à jouer 25 instruments quand l’autre, selon vous, ne composait pas, n’écrivait pas, ne jouait « rien ». Vous saurez, Messieurs et Mesdames les responsables de l’information – donc de 66 millions de cerveaux dont vous avez la charge et la responsabilité, via vos propos, et qui paient chèrement la redevance pour financer vos programmes – que Michael Jackson composait l’essentiel de ses chansons, écrivait ses textes, était percussionniste et batteur et que son principal instrument, bien plus riche et multi-instrumentiste que ce que vous pouvez à peine imaginer, était sa voix, sans même parler de son corps. Non, Michael Jackson n’était pas jaloux de Prince le musicien, contrairement à ce que France 2 a jeté à la figure de millions de Français ce matin… Drôle de responsabilité que d’instiller ce genre de mensonges… Non, pour reprendre l’emprunt qui a été fait à Gainsbourg, Prince n’a baisé personne, et surtout pas Michael Jackson. Sans doute est-ce encore une preuve que les bons mots et le sensationnalisme prennent chaque jour davantage le pas sur la vérité et la qualité.

Ces deux artistes se respectaient mutuellement. Ils s’informaient de leurs productions respectives et, là où vous entretenez des fantasmes de concurrence, ils vivaient, eux, une émulation. Un artiste ne produit jamais rien « contre » (ne dit-on pas « contre-productif » ?). Ils se sont rencontrés souvent, y compris peu avant le décès du premier en 2009 et les légendes concernant le refus du duo « Bad », l’absence de l’un pour la chanson « We Are the World » (mais sa présence, souvent oubliée sur l’album, quand même) ou que sais-je encore, ne sont que ragots pour magazine d’ados et presse à scandale. Est-ce dans ce registre que vous donnez ? Et à propos de couleurs… Le racisme anti-MJ que vous professez, 7 ans après sa disparition (dont vous n’avez visiblement tiré aucune leçon) - car oui, il s’agit bien de racisme - me semble de la même teneur que les moqueries que les enfants se répètent entre eux dans les parcs sans comprendre ce qu’ils disent. Car vous devriez savoir, enfin, que derrière cette pseudo-concurrence entre Prince et Michael Jackson, se cachent, aux États-Unis, des enjeux raciaux et culturels. Eh oui… Si vous regardez de près, ce qui devrait être au coeur de votre métier d’investigation, l’évolution d’apparence entre les deux artistes en termes d’androgynie, de lissage de cheveux, de traits fins et de couleur claire (le type caucasien donc) est totalement parallèle. Mais, si Prince n'a jamais posé de problèmes en termes d'identité raciale aux USA, c’est parce qu’il est né métisse et assez clair de peau, et n’a pas souffert d’une maladie mélanique. Si, comme Michael Jackson, il s’est toujours affirmé Noir Américain, il a toujours été considéré en tant que tel, sans discussion, par les médias, à l’inverse de l’autre, que les conditions de santé ont contraint à des choix d’apparence. Connaissez-vous la loi de la One drop rule ? Renseignez-vous. Sachez aussi que ces étiquettes musicales sont très liées, aux États-Unis, aux questions d’appartenance raciale, de fierté ou de reniement par sa propre communauté. Les affinités de Prince, rock funk, sont, là-bas encore davantage qu’ailleurs, synonymes de virilité, de révolte et de sexualité assumée, selon les clichés en vigueur. Il est une fierté noire parce qu'à l'inverse d'un MJ qui, toujours selon ces mêmes clichés, se serait assujetti à une pop considérée comme blanche et aurait trahi les siens en vendant tant sinon plus aux Blancs qu’aux Noirs, Prince a ramené le rock dans son giron noir. Connaissez-vous la Black Rock Coalition ? Renseignez-vous.

Enfin, à l'inverse d'un MJ qui était enfantin, discret et mystérieux sur le sujet, Prince a toujours eu une image adulte et une sexualité affichée, voire débridée, répondant à ces mêmes critères de fierté communautaire, que même ses aspects androgynes n'ont pas mis en péril. Grâce à vous, qui reprenez, derrière vos comparaisons dénaturées, des clichés liés à des clivages raciaux ancestraux, nous continuons d’assister, en 2016, à un cirque grotesque de curiosités façon Barnum. Un cirque qui cache, depuis plusieurs siècles mais encore davantage depuis que des intérêts financiers sont en jeu, une vaste bataille identitaire et culturelle d'échanges, d'emprunts, d'appropriations. Vous êtes complices et faîtes preuve, vous qui êtes si ouverts, si tolérants, défenseurs de la différence, de la liberté d’expression, de l’altérité et que sais-je encore, d’un racisme insupportable, cynique et éhonté, qui va à l’encontre des idéaux que vous prétendez représenter.

Vous êtes ces mêmes justiciers de l’égalité sociale et raciale, ces protecteurs de la veuve, de l’orphelin et de l’handicapé, qui continuez à lyncher publiquement, 7 ans après et sous prétexte de comparaisons erronées, un idéaliste pur et dur, un enfant des droits civiques, admirateur de Martin Luther King, de Malcolm X, de Gandhi, adepte de l’égalité, de la paix et de la véritable non-violence, certes utopiste, mais qui, mieux que vous, mettait en accord ses actes avec sa philosophie. Vous avez contribué et continuez encore à le faire, en profanant sa mémoire, à martyriser et à tuer encore et encore l’un de ceux que vous dites rêver, attendre, chercher en vain sur cette planète. Vous êtes contre la peine de mort et le terrorisme, mais vous tuez cet homme symboliquement 10 fois par jour, le sourire aux lèvres, et vous imposez un fanatisme idéologique qui vous échappe, et que votre ignorance, ou vos faux-prétextes d’ouverture d’esprit et de pseudo-analyses de l’information, n’excusent en rien.

Prince était un génie. Michael Jackson était un génie. Visiblement, vous n’êtes ni des génies de l’information ni des génies de l’objectivité. Et pire, vous êtes irresponsables face au monde que vous êtes payés pour « informer ».

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