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Le succès de Michael Jackson expliqué à ma fille (et à ses amis)...

Updated: May 9, 2023

J'ai eu l'autre jour une longue et intéressante conversion avec ma fille et certains de ses amis musiciens à propos du succès de Michael Jackson et de sa "valeur", à notre époque. Ce n'est pas la première fois que des jeunes m'interrogent à ce sujet. Enseignante dans le secondaire, j'ai souvent été interpelée ces dernières années par des ados venant me voir à la fin de l'heure pour m'interroger sur ce que vaut véritablement le succès de Michael Jackson par rapport aux critères actuels. Certains d'entre eux étaient tout petits quand Michael est décédé et ont ressenti le choc vécu par leurs parents. Ils avaient, à l'époque, écouté et regardé Michael avec eux et avaient été ébahis, en dépit des décennies passées, par ses prestations, son charisme, sa musique. D'autres ne l'ont pas connu et sont nés après cette onde de choc. Pour eux, malgré tout, Michael Jackson reste une référence. Parce qu'il leur est décrit comme tel par certains médias ou les stars qu'ils admirent et qui se réclament de ses influences. Parce qu'ils sentent bien, quand ils le regardent ou l'écoutent, qu'il y a quelque chose d'inexplicable qui continue de fasciner, de "faire la différence".

Voici la retranscription des notes que j'ai prises, donc, suite de mon échange avec certains de ces jeunes, approchant la vingtaine, un soir où l'horloge ne mettait la pression à personne, ni à eux pour poser des questions, avoir une oreille attentive et le temps de la réflexion, ni à moi pour rentrer un peu dans les détails.




Comment se fait-il qu'on parle encore du succès de Michael Jackson comme étant le plus grand de tous les temps ? C'est dépassé, non ? D'autres artistes ont fait mieux depuis !


Eh bien, tout dépend de ce que tu nommes "succès". Est-ce le nombre de disques vendus ? La notoriété ?


Ben, les deux, j'ai envie de dire. Quand on voit le nombre de vues de certains artistes aujourd'hui sur YouTube ou les plateformes d'écoute et de téléchargement, ça fait longtemps que Michael Jackson a été battu !

Quant au fait qu'il soit connu, oui, ça c'est vrai qu'on le connaît encore. Mais là aussi, je ne comprends pas pourquoi. Qu'est-ce qui fait qu'il est encore célèbre et qu'on continue de diffuser sa musique et de parler de lui (au-delà des "affaires") ?


Alors pour te répondre d'abord sur le côté succès commercial, il faut bien que tu mesures une chose. A l'époque, le succès se comptait en nombre de disques vendus. Aujourd'hui, les artistes ne vendent plus beaucoup parce que vous, les jeunes, écoutez en streaming ou téléchargez la musique. Donc, aujourd'hui, on prend en compte les vues, les téléchargements, on fait des ratios pour transformer les vues en téléchargements théoriques et les téléchargements en ventes potentielles.


Ben justement, y a même une musique pour enfant, en ce moment qui atteint plus de 10 milliards de vues*. Même des artistes comme Ed Sheeran ou Bruno Mars ont atteint plusieurs milliards de vues avec leurs chansons** alors que je crois que "Billie Jean" a seulement dépassé 1 milliard de vues il y a quelques années***.


Certes, mais il y a deux choses que tu dois prendre en compte. Depuis quand existe ce recensement en nombre de vues ? Existait-il dans les années 1980 à 2000, durant la carrière, on va dire "adulte" de Michael Jackson ? Non.

A cette époque, on comptait le nombre de disques (albums, singles, remix) et de cassettes vendus. Si on avait pu comptabiliser le nombre de fois où telle ou telle chanson a été écoutée, sur la platine, dans la voiture, sur le walkman, peux-tu imaginer le nombre de "vues" qu'il faudrait additionner au nombre de disques ou supports physiques vendus ? Ça en ferait, des dizaines ou même centaines de milliards, quand on connaît les chiffres de vente d'un album comme "Thriller" ! Tu t'imagines que rien qu'en 1982, l'album (je ne parle pas des singles) s'est vendu à 32 millions d'exemplaires ? Ça fait combien d'écoutes et de réécoutes de chaque titre à ton avis en une seule année ? Et jusqu'à nos jours ?

Et puis, au-delà des chiffres, quelle est la valeur de ces "vues" ? Est-ce que l'internaute regarde ou écoute telle ou telle chanson parce qu'il aime vraiment, ou est-ce par curiosité, par hasard ? Quel investissement y a-t-il, en réalité, derrière ces vues ? Quand on achète un album ou un single, on marque un véritable intérêt parce qu'on paie. C'est peut-être un pari risqué, quant on ne sait pas à quoi s'attendre, mais... justement ! Quelle belle marque de confiance envers l'artiste ! Alors oui, un téléchargement, c'est déjà plus engageant qu'une écoute... Mais quand on sait combien coûte un abonnement à une plateforme pour avoir accès aux téléchargements... c'est dérisoire... Payer 7, 10 ou même 14 € pour avoir accès à tout, quand on paye entre 15 et 20 euros pour un CD et bien plus pour un vinyle, qui ne comporte que la musique d'un seul artiste ! Non, je crois qu'on peut dire que le geste qui consistait à devoir acheter un disque ou une cassette était un vrai engagement et a, symboliquement, bien plus de valeur qu'une vue ou 10 vues ou écoutes dont on ne sait ce qui les a motivées...


Ah oui, c'est pas bête ça... J'y avais pas pensé... On pense pas à ça, en général...

Mais enfin quand même ! Vous dîtes que les ventes de disques ne sont plus importantes à notre époque, mais il y a quand même des artistes comme Ninho ou Jul qui ont remporté plus de 100 disques d'or ou des stars comme Taylor Swift ou BTS qui battent tous les records de vente dans le monde !


Oui, mais... la deuxième chose dont il faut bien te rendre compte, c'est que les calculs pour obtenir ces fameux disques d'or ou de platine ont changé.

D'une part, ces récompenses ne prennent plus en compte seulement les ventes de disques, mais aussi les écoutes et les téléchargements.

D'autre part, le nombre d'unités vendues dépend des pays, mais aussi et surtout des époques !

Pour te donner un exemple, en France, jusqu'en 2006, pour obtenir un disque d'or il fallait avoir vendu 100.000 albums. De nos jours, il faut en avoir vendu la moitié. Si tu vends 100.000 albums aujourd'hui, tu obtiens un disque de platine !

Quant aux Etats-Unis, ce n'est pas 100.000 ni 200.000 albums qu'il faut avoir vendu pour obtenir un disque d'or, mais 500.000 !

C'est normal, le ratio dépend de l'étendue du marché ! Mais tu comprends déjà qu'un disque d'or de Michael Jackson ne pèse pas le même poids, en termes d'unités vendues, qu'un disque d'or d'un artiste français !

Et il faut prendre en compte l'époque, en plus... Parce qu'un album disque d'or en France en 1980 "pesait" 100.000 disques vendus, quand aujourd'hui il n'en pèse que 50.000. Et du côté des singles, un disque d'or en France en 1980 pesait 500.000 disques vendus, quand en 2016, il n'en pesait plus que... 75.000, plus de 5 fois moins !

Alors que pèse un disque d'or de Jul ? Quand tu sais que les chiffres tiennent en plus compte, depuis 2016, des ventes potentielles, du nombre d'écoutes en ligne et des téléchargements...


Bah, en effet... C'est pas comparable. C'est pas la même époque, pas la même échelle. Mais aujourd'hui, ce qui compte beaucoup aussi, c'est les tournées ! Les artistes gagnent beaucoup d'argent avec les tournées je crois ! Et Michael Jackson n'en a pas fait beaucoup !


Oui les artistes ont du succès grâce aux tournées. C'est devenu un domaine d'activité qui rapporte de l'argent, les tournées. Même si elles coûtent cher, elles permettent de gagner autant, sinon plus que les dividendes des ventes, des téléchargements ou des écoutes. Et ça, il faut savoir que c'est loin d'avoir été toujours le cas ! A l'époque de Michael et avant lui, depuis les débuts de l'industrie du disque, la plupart des tournées étaient des gouffres financiers. Les artistes gagnaient de l'argent avec les ventes de disques, mais pas tant que cela avec les concerts et spectacles, qui coûtaient beaucoup d'argent aux labels. Les tournées étaient intéressantes parce qu'il y avait des retombées ensuite : les gens allaient acheter les disques, ils achetaient les produits dérivés, les magazines etc. A une époque où les salles de spectacle, surtout en France et en Europe, étaient peu nombreuses et où la venue d'artistes, encore plus en province, était un événement, cela avait un impact secondaire important. Mais là aussi, il faut savoir une chose : c'est que c'est Michael Jackson qui a inversé la vapeur. Il est le premier artiste à avoir dégagé tellement de bénéfices de ses tournées qu'il n'en percevait pas les cachets et les reversait à des associations ou à des œuvres. Par exemple, la tournée qui a suivi "Thriller", avec ses frères, le Victory Tour en 1984, a généré 75 millions de recettes (ce qui correspondrait aujourd'hui à 184 millions) et 1,36 million de profits, avec seulement 2,75 millions de spectateurs... Quant au Bad Tour, l'argent qu'il a généré s'élève à 125 millions de recettes (ce qui correspondrait aujourd'hui à près de 272 millions) et un peu plus d'un million de profits, avec 4.5 millions de spectateurs. Les profits de ces deux tournées dépassent, à l'époque, ceux d'autres grands noms comme Bowie, U2, Pink Floyd, Madonna ou les Rolling Stones. De ce fait, le merchandising, comme on dit aujourd'hui, suffisait à Jackson. Plutôt que de payer des impôts dont il ne savait à quoi ils seraient consacrés, il préférait défiscaliser en donnant ses cachets.

En fait, il est le premier artiste à avoir notablement gagné autant d'argent directement de ses tournées, et pas seulement en termes de retombées consécutives via des ventes de disques... Et cette inversion des valeurs n'a jamais cessé depuis, puisque durant les années 2010 à 2020, ce ne sont plus 8 tournées, comme dans les années 1980, qui ont généré des recettes supérieures à 100 millions de dollars, mais plus de 20 tournées qui ont généré entre 200 et plus de 500 millions de dollars !




* J'ai cherché, il s'agit de la chanson "Baby Shark" qui atteint plus de 12 milliards de vue en ce début d'année 2023

** Là encore j'ai cherché, je pense qu'il voulait parler de "Shape of you" (5,8 milliards de vues) et de "Uptown Funk" (4,7 milliards de vues)

*** C'est vrai, c'était en 2021.

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